Face à la demande croissante en sources d’énergie alternatives pour alimenter l’augmentation exponentielle des applications d’intelligence artificielle (IA), le gouvernement américain utilise son pouvoir fiscal et réglementaire pour accélérer le développement de l’énergie nucléaire en tant que contributeur majeur à l’approvisionnement énergétique national.
Les décrets relatifs à la promotion de l’énergie nucléaire
Le gouvernement américain adopte une double approche pour promouvoir l’industrie nucléaire. Le premier décret signé le 23 mai dernier, intitulé Ordering the Reform of the Nuclear Regulatory Commission (Réforme de la Commission de réglementation nucléaire), vise à rationaliser le développement nucléaire et à réduire les contraintes et les obstacles réglementaires.
Ce décret vise à réformer le système d’octroi des licences en chargeant la Commission de réglementation nucléaire de finaliser la réglementation applicable aux nouveaux réacteurs dans un délai de 18 mois et celle applicable aux réacteurs existants dans un délai de 12 mois.
Le gouvernement américain souligne également la nécessité d’un changement culturel au sein de la Commission, affirmant que son approche actuelle, trop prudente, devrait mieux équilibrer les préoccupations en matière de sécurité et les avantages de l’énergie nucléaire. « La Commission de réglementation nucléaire n’a pas délivré de licences pour de nouveaux réacteurs, alors même que les progrès technologiques promettent de rendre l’énergie nucléaire plus sûre, moins chère, plus adaptable et plus abondante que jamais », indique le décret.
Les objectifs de capacité sont un autre élément de cette initiative. L’une des priorités est de quadrupler la consommation d’énergie nucléaire aux États-Unis, pour passer d’environ 100 GW en 2024 à 400 GW d’ici 2050. Cet objectif serait atteint en promouvant les nouvelles technologies et en réactivant les installations nucléaires existantes ou partiellement achevées.
Le deuxième décret signé le 23 mai, intitulé Deploying Advanced Nuclear Reactor Technologies for National Security (Déployer des technologies avancées de réacteurs nucléaires pour la sécurité nationale), vise à accélérer le développement et le déploiement de technologies nucléaires avancées afin de renforcer la sécurité nationale et l’indépendance énergétique.
Le décret charge le département d’État à la Défense de déployer l’énergie nucléaire dans les bases militaires, le premier réacteur devant être opérationnel d’ici 2028. Il encourage également les investissements du secteur privé dans les technologies nucléaires avancées « en harmonisant les incitations au sein du gouvernement fédéral afin de tirer pleinement parti des ressources fédérales en uranium et en plutonium déclarées excédentaires par rapport aux besoins de la défense, des matières nucléaires connexes, des composants de la chaîne d’approvisionnement et des infrastructures de recherche et développement ».
Un autre objectif déclaré est la coordination réglementaire, qui exige des départements d’État à la Défense et à l’Énergie qu’ils optimisent l’allocation des ressources et la gestion des risques.
Une nouvelle tentative pour relancer l’industrie nucléaire
Donald Trump n’est pas le premier président américain à tenter de promouvoir l’énergie nucléaire. En juillet 2024, le président Joe Biden a promulgué l’ADVANCE Act, qui simplifie l’octroi de licences pour les réacteurs avancés, réduit les frais et encourage leur déploiement.
L’approche du gouvernement actuel est différente. La stratégie de Donald Trump est axée sur la sécurité nationale et repose sur des décrets présidentiels. L’accent est mis sur la rapidité du déploiement et la déréglementation. L’approche de Joe Biden était législative, axée sur le climat et centrée sur l’investissement et les réformes bipartites visant à moderniser l’énergie nucléaire.
Si les partisans de ces mesures affirment qu’elles permettront de réduire les retards réglementaires et de renforcer le leadership technologique des États-Unis, il ne fait aucun doute que des inquiétudes subsistent quant à d’éventuels compromis en matière de sécurité et à l’affaiblissement de l’indépendance réglementaire.
Quelles technologies nucléaires pourraient en bénéficier ?
Selon le décret, « les réacteurs nucléaires avancés comprennent les systèmes d’énergie nucléaire tels que les réacteurs de génération III+, les petits réacteurs modulaires, les microréacteurs et les réacteurs fixes et mobiles qui ont le potentiel de fournir une énergie résiliente, sûre et fiable aux installations de défense critiques et à d’autres ressources opérationnelles ».
Les réacteurs de génération III+ sont des centrales électriques à grande échelle dotées de caractéristiques de sécurité renforcées, d’une durée de vie plus longue et d’une efficacité améliorée par rapport aux modèles précédents. Par exemple, le réacteur AP1000 de Westinghouse est équipé de systèmes de sécurité passifs qui utilisent des forces naturelles telles que la gravité et la convection pour refroidir le réacteur en cas d’urgence, plutôt que des pompes mécaniques actives ou l’intervention humaine.
Les petits réacteurs modulaires, appelés PRM, sont des unités nucléaires compactes construites en usine qui peuvent être utilisées individuellement ou en grappes. Ils sont conçus pour alimenter des installations industrielles, compléter les réseaux électriques existants ou remplacer les anciennes centrales à combustibles fossiles.
Les microréacteurs sont des systèmes encore plus petits et portables, conçus pour être déployés rapidement dans des endroits éloignés ou en situation d’urgence, tels que des bases militaires ou des zones sinistrées.
Les réacteurs fixes sont des installations fixes qui fournissent une alimentation électrique constante à des infrastructures critiques telles que les centres de données. En revanche, les réacteurs mobiles offrent une énergie flexible et à la demande qui peut être déplacée pour soutenir des opérations temporaires.
Les décrets présidentiels devraient favoriser la croissance des nouvelles technologies nucléaires qui se trouvent actuellement à différents stades de développement dans d’autres parties du monde.
Les ambitions nucléaires de Donal Trump sont-elles réalistes ?
La poursuite du développement de l’énergie nucléaire est logique d’un point de vue pratique et stratégique. Le cabinet de conseil ICF prévoit que la demande en électricité aux États-Unis augmentera de 25 % d’ici 2030 et de 78 % d’ici 2050, par rapport à 2023. Compte tenu de la volonté des États-Unis de dominer le domaine de l’IA, il est jugé nécessaire d’augmenter l’approvisionnement en électricité à partir de toutes les sources disponibles.
La hausse de la demande en électricité n’est pas un phénomène propre aux États-Unis. La demande mondiale en énergie s’accélère et de nombreux autres pays ont recours à l’énergie nucléaire pour répondre à la demande croissante de leur population. La France, par exemple, qui compte près de 60 réacteurs en service, tire environ 62 % de son électricité du nucléaire.
D’autres centrales sont en cours de construction. Selon l’Agence mondiale de l’énergie nucléaire, environ 100 réacteurs nucléaires sont actuellement en projet, et plus de 300 autres sont proposés.
Malgré la croissance mondiale du secteur, les efforts récents des États-Unis pour se développer dans les nouvelles technologies nucléaires ont rencontré des difficultés. L’échec de l’accord entre NuScale Power et l’Utah Associated Municipalities Power Systems en est un exemple notable. Le budget du projet, initialement estimé à 3,6 milliards de dollars, est passé à 9,3 milliards de dollars avant d’être abandonné en raison d’une demande insuffisante, le coût estimé de l’électricité ayant augmenté, ce qui le rendait moins compétitif par rapport à d’autres sources d’énergie.
L’échec de ce projet a été une grande déception pour l’industrie de la technologie nucléaire, qui luttait pour percer. « La résiliation du contrat de NuScale témoigne des défis plus larges que pose le développement de l’énergie nucléaire aux États-Unis », a déclaré Edwin Lyman, directeur de la sécurité nucléaire à l’Union of Concerned Scientists. « Il est irresponsable et clairement voué à l’échec de miser excessivement sur des technologies non éprouvées sans tenir compte de leur viabilité économique, de leur praticité et des questions de sécurité », a-t-il ajouté.
Les nouvelles technologies nucléaires, telles que les petits réacteurs modulaires, sont confrontées à des défis similaires à ceux rencontrés par l’énergie solaire à ses débuts. Les coûts initiaux élevés, les obstacles réglementaires et l’acceptation limitée du public contribuent à la lenteur de leur adoption.
À l’instar de l’énergie solaire à ses débuts, ces nouvelles technologies nucléaires sont actuellement considérées comme coûteuses et complexes par rapport aux sources d’énergie plus établies et ont besoin d’économies d’échelle, d’un soutien politique et d’innovations technologiques pour gagner des parts de marché.
Cependant, la technologie nucléaire doit également surmonter une résistance politique plus forte et des préoccupations en matière de sécurité et de déchets, auxquelles l’énergie solaire n’a pas été confrontée dans la même mesure.
Réaction des marchés boursiers aux décrets présidentiels sur le nucléaire
Malgré les difficultés rencontrées précédemment par le secteur, les marchés financiers ont bien réagi à cette nouvelle. L’ETF VanEck Uranium and Nuclear (NLR) a grimpé de 10 % après l’annonce. Le fabricant de réacteurs compacts Oklo a progressé de 23 % et Centrus Energy, un fournisseur de combustible enrichi en uranium pour les réacteurs nucléaires civils, a bondi de 21,6 %.
Les actions de NANO Nuclear Energy, qui développe de nouveaux réacteurs technologiques en plus d’une installation de traitement de combustible à haut rendement et à faible enrichissement en uranium, ont grimpé de 30 %.
Les obstacles à l’énergie nucléaire
Malgré l’optimisme des marchés boursiers, la mise en œuvre de la renaissance nucléaire s’annonce sans doute difficile. Si la réforme réglementaire accélère les autorisations, des questions se posent quant à la sécurité. Même un accident nucléaire mineur pourrait entraîner un revirement de l’opinion publique.
Les décrets présidentiels couvrent l’ensemble de la chaîne d’approvisionnement nucléaire, de l’extraction minière au stockage des déchets. Cependant, les États-Unis dépendent actuellement fortement des importations d’uranium, notamment en provenance de rivaux géopolitiques. Si les nouvelles directives prévoient des mesures visant à augmenter la production américaine d’uranium, la mise en place d’une chaîne d’approvisionnement autosuffisante nécessitera beaucoup de temps et d’investissements, ce qui pourrait retarder le déploiement des réacteurs.
Les décrets de Donald Trump devraient contribuer à atténuer certains des freins au développement de l’énergie nucléaire. Cependant, comme beaucoup d’autres mesures prises par le président américain, ils seront peut-être plus faciles à ordonner qu’à mettre en œuvre. La plupart des gens sont favorables à l’énergie nucléaire, à condition que les réacteurs soient installés chez les autres.
Une contribution de Garth Friesen pour Forbes US, traduite par Flora Lucas
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